Citations

De l'art primitif

Extrait d’un article d’Erna Vamos (à replacer dans l’époque): Il y avait un débat : les milieux intellectuels du Congo Belge et bien évidemment d’Europe, étaient préoccupés par l’acculturation des artistes africains induite par la colonisation. Lorsque l’on forme des artistes africains, faut-il introduire ou non des canons artistiques européens ? Par exemple en matière de motifs floraux ou animaliers tels qu’on peut les voir dans le œuvres des maintenant célèbres élèves (Bela, Pilipili, Mwenze Kibwanga etc.) de Pierre Romain Desfossés, fondateur à Elisabethville - durant la décennie 40- d’une Académie d’Art Populaire destinée aux artistes congolais. Les arts dits « premiers » expriment-ils essentiellement une recherche esthétique ou sont-ils consacrés à d’autres fonctions, p.ex. religieuses ? Erna Vamos, en absence de toute formation anthropologique, mais avec sa capacité d’observation, avec l’expérience acquise dans les régions rurales du Tchad et son intuition d’artiste, s’est positionnée dans le bref article ci-dessous publié en 1951(*).

in: Jeune Afrique (*), Cahiers de L’Union Africaine des Arts et des Lettres, n°16, p 33-34, 1951.

(*) A ne pas confondre avec le périodique actuel “Jeune Afrique” !

“ L'homme avait peur surtout du danger qui ne prenait pas corps, qui le dépassait, que son imagination, bornée aux êtres humains et animaux puissants, ne pouvait se représenter autrement. Il devait réagir contre ce tourment que lui causait la menace invisible. Il devait l'extérioriser, il le projeta en images sur les parois de sa caverne, le concrétisa en idoles et s'en inspira pour préparer ses fétiches et objets rituels. Et ainsi naquit la prière, et ainsi naquit l'Art.”
“[…] Dans la savane africaine, il imagina de tresser ces tiges souples en nattes épaisses et hautes avec lesquelles il construisit ses premières huttes et en entoura son village. Avec l'invention du tressage une défense est créée contre le «mauvais sort»: aussi l'indigène d'Afrique le transporte comme une sorte de fétiche sur tout ce qui lui sert et dont il a besoin. Les variations du tressage se retrouvent comme motif principal sur leurs récipients en terre cuite, sur les gourdes pyrogravées, sur les manches d'ustensiles et armes, sur les tertres et stèles funéraires, enfin sur leur propre corps en forme de tatouage. Car il serait bien fallacieux de croire que l'homme primitif a inventé et aurait bien voulu supporter les désagréments du tatouage, uniquement dans le but de s'embellir.
La transition du but utilitaire à la recherche de l'effet purement esthétique est lente, mais aussi longtemps que l'indigène d'Afrique est exempt de toute influence européenne, sa décoration reste linéaire, géométrique, même quand il y introduit la masse stylisée de quelques animaux, caïmans, serpents, mille-pattes, scorpions etc: animaux, dont l'inconscient de l’âme noire reste vivement affecté. Les fleurs, feuillages, papillons merveilleux qui pullulent pourtant dans certaines régions ne l'inspirent point, il n'y a aucune poussée intérieure qui force sa main à les reproduire. Les idoles, masques et figurines rituels sont réduits à l'expression la plus simple: ils forment des masses, des constructions rigoureusement géométriques, dont la base, l'élément, reste la ligne droite.
En évoluant l'art de nos Noirs ne dénie pas son origine. Prenant goût à la représentation, ils représentent encore les porteurs de pouvoir, personnages redoutés. Les effigies des grands chefs, les dessins grattés sur les murs blanchis, les dessins spontanés des enfants de brousse, qui tiennent une première fois un crayon en main. J'ai fait cette expérience lors de mon séjour en A.E.F., en font preuve. A côté des grands animaux à sabots et crocodiles, ces enfants de la brousse projettent des formes humaines aux membres accentués, une espèce d'homme tourné en diable, qui représente le Mal. Des fois c'est le sorcier, des fois c'est le chef ou son « padia » (acolyte ou représentant, en langue sara) des fois c'est tout simplement le Père ... Très souvent, après avoir mis ces personnages sur papier, ils remplissent l'espace resté vide autour d'eux, avec des zig-zag de l'éclair, comme symbole projeté de leur pouvoir…L'idée, est qu'à la base de toute décoration primitive il y a autre chose que la pure recherche d'effet esthétique.”

« Au cours de mes déplacements en Afrique Equatoriale Française, où mon mari était médecin en brousse, il m’était souvent donné à voir aux cîmes des toit pointus des greniers une espèce d’ornement qui consistait le plus souvant en plumes d’oiseaux piquées dans une boule de terre sèche. J’ai su plus tard qu’il s’agit d’un “gri-gri”, le fétiche préservateur. Une fois, à l’entrée du village Nadili, c’était un tertre frais en latérite rouge, peint en blanc et noir, qui m’a intrigué. Je me suis enquise de l’auteur de cette décoration variée et on me présenta la femme Koïnar. Elle a fait cela pour Pambaye, son frère « de même mère » récemment décédé. Le dessin sur le tertre était son “gri-gri” pour l’au-delà…»

Appendice.

Il ne sera pas sans intérêt de savoir que les tribus des Saras, qui peuplent la région Oubangui-Chari, Tchad, (d’où une grande partie de ma documentation) connaissent deux Dieux, Sou n’kiradji (*) le Dieu Créateur, nourisseur, et Sou, tout court, le Dieu du Mal. Ce dernier est vraiment respecté et son culte est beaucoup plus soigné, car il est craint. Il est tout naturel de faire des rapprochements entre ces faits et les grands arts de l’antiquité, qui ont pris naissance dans la mythologie. Tous les arts avaient leurs racines dans la crainte des dieux, souvent inexorables, et dans leur pouvoir surnaturel. On peut dire que l’art grandissait dans la même mesure où la foi et la crainte s’ancraient de plus en plus profondément dans l’âme et prenaient possession d’elle.

(*) éthym, en langue Sara: Kira= nous; donc Sou, qui nous a fait.

NB: Par ailleurs il est intéressant de renvoyer à une conférence tenue en 1938 par le Prof. Frans M. Olbrechts (futur Directeur du Musée Royal d’Afrique Centrale, Tervueren, Belgique). Devant des missionnaires catholiques réunis à Leuven (Belgique) il plaide pour que l‘on respecte les choix formels et autonomes des artistes africains quel que soit le message (en l’occurrence religieux) véhiculé par l’œuvre elle-même. Il critique sévèrement l’enseignement des arts plastiques tel que dispensé aux enfants africains dans les écoles des missions: on leur impose des thèmes figuratifs et motifs décoratifs européens.

« Inheemsche Kunst en de Missie in Afrika » (“Art indigène et l’action missionnaire en Afrique”) (uittreksel uit het Verslagboeck van de XVIe Missiologische Week van Leuven 1938) 26 p. Boekhandel Uitgeverij Universum, N.V., Koninlijke straat 53 Brussels).